lundi 31 août 2015

Burton, vous avez dit Burton ?


Quand on pense à Tim Burton, on pense plus ou moins ceci : "Ah oui, Edward aux mains d'argent, Sleepy Hollow, Batman !" On ne s'attend absolument pas à voir Big Eyes, si bien que j'ai été plutôt décontenancée durant les premières minutes. C'est pourquoi d'après moi ce film mérite que l'on s'y arrête, bien qu'il suscite deux réactions distinctes. La première est celle que j'ai subi tout au début, immédiatement après le générique d'ouverture : "Euh... Burton, c'est le réal' on est d'accord ? Parce que clairement, je vois pas du Burton !" Et c'est bien tout le problème : quand un réalisateur a habitué son public à un certain type de films particuliers, avec une ambiance, une personnalité très marquée, on est déboussolé en voyant une production radicalement distincte. Alors oui, j'ai failli un instant être déçue de Big Eyes parce qu'il n'entre pas vraiment dans l'univers auquel Tim Burton nous a biberonnés. La seconde réaction consiste à se questionner sur le choix de Burton, car oui, il a toujours affirmé avoir une intention personnelle en choisissant de s'investir dans un film. Et si Burton en avait marre de faire du Burton ? Et si, du haut de ses 56 ans, il avait juste envie de faire autre chose ? Je pense que si tel est le cas, c'est un choix artistique qui, s'il peut être exécré ou adulé, doit être respecté. Cette hypothèse de ma part s'appuie sur une chose : le regard que le film porte sur l'artificialité du monde de l'art, sur le non-sens de certaines critiques. Une phrase de Waltz m'a frappé au milieu du film lorsque sa femme ne peint plus les Big Eyes mais ce que l'on pourrait appeler les Slim Bodies : "Tu changes de mouvance." Peut-être justement Tim Burton est-il en train de changer, lui aussi ? Bref, Big Eyes peine à s'imposer comme étant l'un des derniers bon crus Burtonien, et c'est bien dommage, car s'il n'est pas parfait, il n'en demeure pas moins infiniment sincère et touchant.

Burton saisit ici l'opportunité de renouer avec son univers intimiste autour, tout d'abord, d'un budget bien moins conséquent que pour ses précédents travaux, signe d'une liberté créative bien plus importante. Le spectateur y retrouve notamment certaines thématiques chères à Burton. L'histoire d'une personne de talent, aux valeurs morales honorables, incomprise du monde qui l'entoure, telle est celle de Margaret Keane, peintre américaine ayant marqué toute une génération grâce à ses personnages aux grands yeux écarquillés, dépouillée de son expression par un mari manipulateur et ambitieux. Le point fort du film est, selon moi, le duo Amy Adams/Christoph Waltz. Si le titre indique le nom des principales œuvres de Margaret Keane, il reflète également les yeux des acteurs : ceux d'Amy Adams lui donne un air insouciante, naïve, ainsi qu'empreinte d'une certaine poésie ; tandis que ceux de Christoph Waltz rayonnent de malice, malice qui va lui permettre son ascension. Comme dit très justement dans le film, "les yeux sont les miroirs de l'âme", et c'est extrêmement vrai dans ce casting. Tous les acteurs ont un regard différent et très appuyé, qui en dit long sur leur personnalité, à l'image des tableaux représentés.

Tim Burton joue sur les émotions, les réactions de son public en tablant sur un sujet où on ne l'attendait pas. Pourtant, on peut reconnaître ses obsessions. Les portraits aux gros yeux sont un reflet de son propre univers : étant lui-même un fan absolu de cette artiste, il lui avait indirectement rendu hommage dans Les noces funèbres et L'étrange Noël de Mr Jack. Margaret Keane fait également partie de son entourage artistique et personnel, puisqu'il lui avait demandé de peindre successivement deux de ses compagnes, Lisa Marie et Helena Bonham Carter. Un bel hommage à une artiste longtemps incomprise, ainsi qu'à une véritable amie du réalisateur, ce qui donne alors tout son sens au film.

Le fait qu'il choisisse de parler de Margaret Keane nous rappelle ce moment où il décida de parler de Ed Wood : sa passion pour les oubliés d'une société qui évolue en laissant ses génies sur le carreau. Une trame simple et honnête, sans effets superflus et dans laquelle le réalisateur semble y inclure tout l'amour qu'il éprouve pour cette histoire assez méconnue de notre côté. En effet, le film libère une puissance dramatique qui lui est propre, grâce à ce désir de ne jamais jouer sur la surenchère visuelle. Car l'univers de Burton n'est pas que visuel, ce qu'il prouve largement ici. Il sait parfaitement ce qu'il fait et confirme que l'exercice du biopic lui convient à merveille. Sans oublier également la bande son qui rehausse la beauté du film, composée encore et toujours par Danny Elfman, et par une nouvelle arrivante dans l'univers du réalisateur, Lana del Rey :



Finalement, Big Eyes est une véritable déclaration d'amour à l'art, dans laquelle Tim Burton développe avec style et élégance un esprit féministe certain. Il crie au monde la liberté d'expression de tous, éternelle et omniprésente, essentielle à celui qui créé. Tim Burton signe ici un travail abouti et authentique, signe qu'il peut également exceller dans d'autres registres que celui dans lequel il a coutume de s'illustrer.


Quelques travaux de Margaret Keane : 


Ballerina

Margaret Keane

The Freshmen

Jennifer Nicholsonby Margaret Keane.
Jennifer Nicholson, la fille du célèbre Jack.

2 commentaires:

  1. Vu hier grâce à toi. J'ai adoré car oui ça change totalement de son imagerie habituelle (il était temps en fait) mais il maîtrise totalement son sujet et tout est cohérent et passionnant du coup. Pour moi l'un de ses meilleurs films par les thématiques traités, l'émotion (Amy Adams parfaite dans le rôle) et l'aspect surréaliste de l'intrigue (c'est clairement un bon sujet de film car la réalité dépasse la fiction). Après l'échec de Alice et sa bouillie indigeste d'effets spéciaux !) et le bancal Sweeney Todd (bonne histoire mais mise en scène beaucoup trop plate pour une une comédie musicale aussi noire) Burton parvient de nouveau à conjuguer parfaitement la forme et le fond.

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    1. Pour ma part, je suis une grosse fan de Tim Burton, donc j'aurais du mal à critiquer son travail avec un oeil objectif ; d'ailleurs, "Sweeney Todd" fait partie de mes films favoris, au même titre qu' "Edward aux mains d'argent" et "Batman", tout comme "Dark Shadows" m'a fait passer un bon moment. J'aime son univers particulier, complètement décalé et théâtralisé, très marqué par sa présence en tant que réalisateur qui prend vraiment part à l'histoire. En fait, je n'ai pas aimé ce film parce que c'est un Burton, mais bel et bien en référence à la trame de fond, basée sur un fait réel. J'avoue que je suis assez intriguée à l'idée de découvrir ce qu'il prépare après "Big Eyes".

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